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Ruptures. Comment elles nous transforment

« Notre vie n’est faite que de ruptures » constate la philosophe Claire Marin. Volontaires ou subies, elles jalonnent notre chemin avec leurs conséquences douloureuses et bénéfiques.

Photo Richard Sammour

Ça fait mal. Je confirme.  J’imagine que vous ne direz pas le contraire. Pour l’auteur de « Rupture(s) », Claire Marin, la rupture est « déchirure ».  Expérience aussi physique que psychique. Elle s’imprime dans notre chair, envahit notre esprit. Ce pays que l’on quitte pour survivre, ce travail que l’on perd, la peau de l’autre, son odeur, sa présence, ses paroles ne sont plus. Autant de deuils à affronter. Écoutez les médecins : ils parlent de « rupture » de ligaments, d’anévrisme. Les membranes, la veine, le tendon sont déchirés. Dans la rupture, nous perdons une partie de nous, pas déchirée selon les pointillés de façon franche mais n’importe comment. Nous voici  « le cœur brisé », dans nos pensées, « obsédés ». Notre corps ET notre esprit sont en lambeaux…

Notre identité est atteinte : « je ne suis plus rien » diront certains. Le Moi est abîmé. : « je ne me reconnais plus », « on m’a arraché une partie de moi ». Pour Claire Marin, il y a une grande différence entre rupture et séparation qui, elle, nous laisse entier. Il est facile d’expliquer : « on se sépare » sous-entendu « d’un commun accord ». Chacun part de son côté, la tête haute, pour un avenir plus conforme à ses attentes. « Elle a rompu » ou « il m’a quitté » raconte tout autre chose. En amour, celui qui va voir ailleurs, le fait pour se trouver, se re-trouver, pour vivre autre chose, avec quelqu’un d’autre. Ce qui était n’est pas (ou plus) suffisant.

Alors pour les quittés commence la honte et ses « je ne vaux pas la peine », la culpabilité  « Mais pourquoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? » ou « pas fait » ? Ne vous méprenez pas : l’expérience n’est pas plus facile pour celui ou celle qui part et « ne pense qu’à sa gueule ». La honte et la culpabilité sont bel et bien là pour eux aussi. Ensemble, les « Quittés » et les « Quitteurs » deviennent des « monstres », les uns se vivent comme des personnes que l’on fuit, sans intérêt ni valeur, les autres comme des bourreaux, des salauds, des salopes, égoïstes ou briseurs de famille.

D’autant que nous sommes loin d’être égaux … Parmi nous, il y a ceux « à mémoire de forme » : leur constitution psychique est assez malléable, leurs fondations suffisamment solides pour encaisser des chocs, même des tsunamis. Tels le robot du film Terminator, ils se relèvent et se régénèrent. D’autres s’effondrent, dérivent jusqu’aux portes de la folie parfois de la mort. A la douleur d’un présent bouleversé, s’ajoutent les souvenirs des blessures de l’enfance, les abandons, les rejets et les premières peurs, seuls, dans nos lits ou dans la cour de récré. Perdus. Et enfin, les larmes des premiers amours qui n’ont pas toujours laissé que de jolis souvenirs mais un goût amer.

Photo Richard Sammour

A la démonstration de Claire Marin, je rajoute qu’il y a la « survie de l’espèce ». Depuis l’aube de l’humanité, on n’abandonne pas le clan. Dans la savane, sans un autre, on ne survit pas. « Partir, c’est mourir un peu » dit l’adage. Se retrouver seul(e), être quitté(e) aussi. Nous sommes faits pour rester ensemble car de cette façon nous avons assuré notre protection. Seul(e), loin du feu, de la nourriture du clan et du contact physique de ses membres, nous sommes nus, en danger. Puis la culture et ce couple sacré uni « jusqu’à ce que la mort le sépare ».

Vous me trouvez sombre ? Pas du tout ! Claire Marin encore moins. La rupture apportera pour commencer la souffrance puis autant de cadeaux. Pas tout de suite. Après. Du face à face avec notre part d’ombre, nos fragilités les plus profondes, nous allons découvrir qui nous sommes, ce dont nous sommes (ou non) capables.  Qui a fait la traversée de cette effroyable tempête connaît l’ivresse du retour à la vie, le bonheur de la paix et de la sérénité. « Et puis un jour, on s’en fout et ça fait du bien » dit un post Facebook.  Après la douleur, parfois l’anesthésie du corps et de l’esprit, l’effondrement ou la perte de sens, revient le désir et l’on se sont vivants. Terriblement vivants.

Pour les rescapés, nombreux, très nombreux fort heureusement, démarre une nouvelle vie.

 

Rupture(s). Comment elles nous transforment

Claire Marin

L’observatoire Ed. 27 mars 2019 – Livre de Poche.

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