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Grisées

Ce matin de février 2019, le titre de l’article « Assumer ses cheveux blancs » me fait bondir. Non mais oh … attendez … en général, j’emploie le verbe « assumer » pour une faute ou mes responsabilités !!!! Assumer ses cheveux blancs ?!!

Vais-je devoir « assumer » une « différence » ? Un handicap ? De transgresser une règle ?

C’est trop tard, je suis «vénère» diraient mes enfants. Le vent de la rébellion s’est levé. Ma guerre est déclarée. Je ne suis pas naïve, je vais recevoir des coups. Je hisse la grand-voile et je mets le cap sur le blanc… enfin gris parce que finalement je ne sais pas ce qu’il y a sous la teinture.

Premiers scuds

Oui parce qu’avant même d’avoir entamé le processus, j’ai pris les premiers tirs de missiles. A Noël, un repas entre voisins s’est terminé en pugilat : d’un côté les Pour, de l’autre les Contre. Bon… côté Pour, on était deux, côté Contre... tous les autres soit 7 personnes très remontées. Les « c’est très laid », «horrible », «ça vieillit terriblement », « attention, ça fait vite négligé », « fais gaffe quand même, tout le monde ne peut pas se permettre », « j’ai une collègue qui a essayé, elle a vite arrêté ». Dans un souci de paix,  Albert m’a suggéré de commencer par me teindre en blonde si vraiment – mais alors si vraiment – je voulais renoncer à ma «brunitude».

Je ne suis pas du genre à chercher les embrouilles, du coup j’ai regretté d’avoir cassé l’ambiance.  Pourtant, je n’ai pas fait non plus une annonce officielle du genre « on divorce » ou « je change de sexe ». J’ai juste dit : « j’arrête de me teindre les cheveux ». Remarquez en écrivant, je me rends compte que ça fait un peu annonce officielle.

A ma décharge à ce moment-là, j’ai quelques inquiétudes sur le rendu pendant la phase de transition entre cheveux marrons crados qui roussissent et cheveux blancs ou grisâtres qui s’allongent. Plutôt qu’essuyer les quolibets, j’anticipe, je préviens. Les articles sur internet « Réussir sa transition » mettent en garde : pendant quelques semaines, c’est moche.

Je la leur fais à l’envers

Qu’importe, je m’en fous. Seule face à l’adversité, je me lance. Les premiers résultats sont étonnants. En fait, c’est très joli. Mes racines blanches s’allongent, repoussant la teinture : je deviens bicolore. La jeune coiffeuse s’émerveille « ROoooooh, on dirait un Tie and Dye à l’envers !!!! ». Pour celles et ceux qui ne le savent pas tie-and-dye est une bi coloration des cheveux : sombres en haut et clairs sur le bas. Moi, c’est le contraire. J’innove : clair sur le haut, sombre sur le bas.

Dans la rue, au restaurant, des femmes me félicitent et me demandent comment je fais !

Quelques semaines passent. Ca y est, je suis de couleur « gris/blanc ». Je mets une photo sur Facebook. Les Like pleuvent « Magnifique ! », « trop belle ! » et puis de nouveau, ça se finit en bagarre générale par commentaires interposés. Un ami crie au scandale, il en appelle à ma raison et à l’appui des autres. « Dites à cette femme qu’elle est folle !! » écrit-il ..non sans humour : c’est un pote d’enfance. Je ne suis pas étonnée, on se fait pas de cadeau, lui se teint les cheveux et se botoxe le front. Je le traite donc de « connasse ». Il adore. Mais une de mes copines s’insurge contre son perfide commentaire et riposte avec une longue tirade sur le sexisme et le jeunisme. Les autres prennent le débat très au sérieux et surenchérissent puis s’étripent. Le sujet passionne et divise. Une « amie », sournoise, m’écrit en message privé : « As-tu bien réfléchi ma Chérie ? Tu sais, je ne veux pas te faire peur mais c’est difficile à porter. Faudrait pas qu’on t’appelle mémé …hihihihi …LOL».

La tentative d’estocade finale est faite par une autre qui me confie que son mari l’a suppliée  : «Tu vas pas faire comme Anne ?! Hein ?! Hein ? ».

Allez hop ! Je transgresse, je lève les tabous

Voilà l’histoire : pour être belle, il faut être jeune. Quand on est jeune, on n’a pas de cheveux blancs. Donc si tu en as, tu n’es plus jeune donc pas belle et surtout pas sexy. Autant se rendre directement au cimetière sans passer par la case Ehpad parce que même là-bas, on teint les cheveux des petites vieilles.

Mais d’où vient une croyance pareille ? Les anthropologues répondent que c’est en rapport avec le fait d’être fécondable ou pas.

Pour un mâle, une femelle est séduisante parce qu’en mesure de perpétrer la race humaine, dès lors qu’elle a des cheveux blancs, elle est périmée. La chevelure grise ou blanche n’est donc pas un bon message pour le reproducteur qui sommeille en chaque homme. En finir avec les couleurs, c’est en conséquence scier la branche sur laquelle on est assise d’autant plus vite, qu’avec le temps, elle est moins solide. De fait, on déchaîne moins les passions.

Pourtant, me semble-t-il, nous sommes sortis de nos cavernes et habitons des lieux dit «civilisés » (les guillemets sont importantes). Mais, on le sait, les mythes ont la vie dure. Et la société nous met la pression : restons jeunes donc beaux.

Vous reprendrez bien un dernier petit cliché pour la route ?

La chevelure cendre clive parce qu’elle véhicule des clichés en quantité. Le plus courant est celui de la folie. «Tu es folle ! » a écrit mon ami. Non, non, je ne me suis pas échappée de l’hôpital psychiatrique, là où sont enfermées les folles aux cheveux blancs hurlantes et débraillées. Car c’est à la négligence qu’il renvoie, à l’oubli de soi et des convenances : « Attention, ça peut faire sale, t’as intérêt à te maquiller ! » ai-je le plus entendu. Pour autant, je continue à me laver !

Alors ça y est, t’as décidé d’être Sorcière ? » pouffe un ami.

Est-ce alors une transgression ? Sûrement puisque je ne respecte plus la consigne sociétale : effacer tout signe distinctif de dégénérescence. J’étale aux yeux de tous la preuve que les années passent. J’en fais même une fierté. Oh la vilaine petite rebelle !!! J’en remets une couche avec mes décolletés et mes jeans. Je transgresse les codes de la séduction.

Comme les dépravées de l’époque qui ont raccourci leurs jupes puis brûler leurs soutien-gorge, je lève un interdit : j’ose faire l’amour sans teinture. Pouah !!!!

C’est que la société est stricte sur le sujet. A l’âge ou l’on décide d’exhiber sans honte ses cheveux blancs, finies les culottes en dentelle et les robes moulantes. Le cheveu se porte court (pour plus de facilité), on enfile une polaire moche, un K-Way bleu marine et on rejoint le Club pour aller faire des marches avec les bâtons, ça évite d’avoir mal aux genoux. Les décolletés, la drague, c’est pour les jeunes. Nous, la bande de copines aux cheveux blancs et courts (voir un peu long pour la nuque), nous avons bien mieux à faire que de s’envoyer en l’air : il y a les gâteaux de la fête du club de la Bibliothèque à préparer.

Les temps changent

Les stars s’y mettent. Les marques de cosmétiques suivent. Les jeunes passent au blanc. Et le plus joli cadeau est finalement venu de ma fille de 17 ans qui m’a dit « Maman, ça t’embête si je me fais des mèches blanches ? C’est trop beau »….

Merci ma Chérie….

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